Parmi les expressions courantes du droit du travail et de la matière disciplinaire qui s’y rattache, la notion de mise à pied trouve un écho particulier puisqu’elle a pour particularité de pouvoir intervenir à la fois à titre conservatoire, c’est-à-dire avant et indépendamment d’une sanction disciplinaire, mais également à titre de sanction à part entière.
En effet, il est peut-être de bon ton de commencer par expliquer qu’il existe deux types de mise à pied distinctes : la mise à pied disciplinaire et la mise à pied conservatoire. S’il s’agit dans les deux cas d’une suspension temporaire du contrat de travail à l’initiative de l’employeur et impactant potentiellement la rémunération du salarié, leurs objets sont différents.
La mise à pied disciplinaire, ainsi que l’indique sa dénomination, est une sanction infligée au salarié en réaction à ce que l’employeur considère comme une faute. La mise à pied conservatoire, là encore comme son nom l’indique, a pour fonction de suspendre le salarié de ses fonctions en attendant une décision définitive.
La mise à pied disciplinaire
Comme évoqué, il s’agit d’une sanction. Cette sanction est dite lourde puisqu’elle impacte la rémunération du salarié. À ce titre, contrairement à un simple avertissement (ou toute autre sanction légère), elle doit être précédée d’une procédure disciplinaire comprenant une convocation et la tenue d’un entretien préalable. Un courrier de notification est ensuite envoyé au salarié comprenant la durée de la mise à pied, laquelle doit être évidemment à durée déterminée et proportionnée à la faute commise, ceci entraînant corrélativement une perte du salaire pour le salarié couvrant la période durant laquelle il est mis à pied.
On rappellera à ce titre que le règlement intérieur d’une entreprise peut limiter la durée maximale de cette mise à pied et doit même le faire lorsqu’il existe. Une mesure de mise à pied prononcée sur le fondement de dispositions d’un règlement intérieur qui ne prévoirait aucune durée maximale ne serait pas valable. On précisera également que la mise à pied disciplinaire peut être fractionnée et répartie sur plusieurs jours non consécutifs ; il s’agira toujours d’une seule et même sanction.
Enfin, dans le cas de représentants du personnel, leur protection n’empêche pas l’employeur d’exercer son pouvoir disciplinaire. Et, s’agissant d’une sanction sans effet sur le contrat de travail ou sur l’exécution du mandat, l’employeur n’a pas en principe à solliciter d’autorisation administrative, même s’il doit, naturellement, respecter la procédure disciplinaire.
La mise à pied conservatoire
La nature de cette mise à pied est radicalement différente. Il ne s’agit pas, à ce stade, d’une sanction mais d’une mesure visant à suspendre temporairement le salarié de ses fonctions.
La mise à pied conservatoire est donc non seulement une mesure temporaire permettant à l’employeur de faire cesser une situation potentiellement dangereuse pour l’entreprise dans l’attente de la prise d’une décision, mais elle est, à ce titre, décorrélée de toute notion de faute. Il est ainsi admis qu’un licenciement prononcé postérieurement à une mesure de mise à pied conservatoire ne le soit pas pour motif disciplinaire, sans que cela n’invalide la mesure. Il s’agit donc bien d’une mesure d’attente permettant à l’employeur d’envisager la suite à donner au contrat de travail.
Si d’aventure l’employeur choisissait d’infliger au salarié une sanction disciplinaire à la suite de cette mesure, cette dernière n’aurait pas d’avantage d’incidence sur la nature de la mesure, tout le panel de sanctions classiques restant disponible (avertissement, blâme, licenciement…). La mise à pied conservatoire, à l’instar de la mise à pied disciplinaire, suspend le contrat de travail et implique par conséquent une perte de salaire, le salarié étant dispensé d’exécuter sa prestation de travail.
Attention toutefois, si le salarié échappe à un licenciement pour faute grave ou lourde, la période de mise à pied conservatoire devra être rémunérée. Également, il convient pour l’employeur de réagir rapidement pendant la mise en place de cette période de mise à pied conservatoire. Un délai excessif laissé entre le début de celle-ci et les mesures prises pourrait en effet provoquer une requalification en sanction disciplinaire et par conséquent invalider toute sanction postérieure. Il ne s’agit donc pas de faire perdurer trop longuement cette période d’attente et nous ne saurions que trop conseiller d’indiquer de manière très explicite la nature de la mise à pied dans le courrier notifié au salarié, et ce afin d’éviter tout risque inutile sur la qualification de la mesure.
Précisons toutefois encore à ce titre que, s’il ne s’agit pas d’un préalable juridique obligatoire puisqu’aucun texte ne prévoit d’invalider un licenciement pour faute grave ou lourde faute de mise à pied préalable, cette dernière reste présente de manière assez systématique dans le cadre de ces procédures de licenciement. Ces dernières sont théoriquement fondées sur des griefs formulés contre le salarié rendant impossible son maintien dans ses fonctions et dans l’entreprise. Aussi, laisser ce dernier exercer son activité le temps de la procédure avant de le licencier pour un tel motif manquerait singulièrement de cohérence.
Quid de la mise à pied dite « abusive » par les salariés ?
Il convient, là encore, de distinguer. Dans le cas d’une mise à pied disciplinaire considérée abusive par le salarié, il s’agit d’une sanction disciplinaire injustifiée. Cela nous conduira à examiner les questionnements classiques en la matière : la sanction est-elle en cohérence avec le délai de prescription disciplinaire ? Les faits sont-ils établis ? Les faits sont-ils contestés ? Si les faits sont établis, la sanction est-elle proportionnelle à la faute commise ? Quelle est la nature de la sanction ? Est-elle prévue par les textes ? La procédure est-elle respectée ?
Au terme de ces interrogations, pour lesquelles nous ne saurions que trop vous conseiller de consulter un avocat, si la sanction disciplinaire est critiquable, il faudra envisager une saisine du Conseil de Prud’hommes et demander son annulation.
Dans le cas d’une mise à pied conservatoire, l’abus potentiel est directement corrélé à la nature de la mesure qui sera prise par l’employeur. Comme il ne s’agit pas d’une sanction en soi, lorsque l’employeur opte pour une voie qui permet au salarié d’être rémunéré de la période couverte par la mise à pied, aucun problème ne se pose.
Dans le cas contraire, cela suppose un licenciement pour faute grave ou lourde et, en ce cas, la contestation de cette période de mise à pied conservatoire et l’obtention de la rémunération liée passera nécessairement par la contestation du licenciement intervenu postérieurement, procédure supposant également la saisine du Conseil de Prud’hommes.